Précurseurs
La première étude spécifiquement ethnopsychiatrique (1961), sans
doute aussi la première par son importance, a été celle que Georges
Devereux a consacré aux Indiens Mohave de l'Arizona [2]. Il y décrit les classifications "traditionnelles" qui sont évidemment
intraduisibles : "névrose du chasseur", "psychose du scalpeur"
ou du "tueur de sorcier", les maladies découlant du "refus d'assumer
ses pouvoir chamaniques", celles provenant de "l'impureté des
étrangers" et celles données par la fréquentation des "fantômes
ennemis". Que dire de cette maladie spécifique aux hommes âgés
ayant épousé une très jeune fille, sinon qu'elle dénote une grille
très particulière de la perception des désordres. Les Mohave semblent
même avoir construit une théorie générale de la pathologie comme
conséquence de la souillure par des étrangers [3]. De fait, malgré toutes les tentatives d'établissement de ponts
entre une "psychopathologie" mohave et la psychopathologie occidentale,
le travail de Devereux laisse l'impression d'une irréductible
spécificité des conceptions locales, des liens profonds qu'entretiennent
ces conceptions avec la langue et la philosophie (l'ethos ) de la société dont elles sont issues. D'ailleurs, Devereux
tente de restituer cohérence et légitimité à des concepts mohave
aussi complexes qu'étranges -- par exemple l'action des morts
dans toutes sortes d'événements : en rêve, dans la vie quotidienne,
sous forme de spectres, lors des rites funéraires, dans la transmission
des maladies mentales, dans les soins. Certes, pour chacune de
ces notions, Devereux tente une traduction psychanalytique des
concepts mohaves ; mais à chaque fois, elle ne peut le satisfaire
puisque plus il les comprend, plus il se perfectionne dans leur
savoir, plus ses informateurs se font précis, cohérents, techniques.
On peut toujours imaginer des ponts entre des notions abstraites
; il est bien plus difficile d'en trouver entre des techniques
qui se prêtent moins facilement aux jeux des métaphores. Il se
heurte donc à l'infinie difficulté de retranscrire (de traduire)
-- non pas une langue dans une autre -- mais une vision du monde
dans une autre[4]. Dans sa recherche d'un terrain commun qui ne se justifie qu'à
permettre la propre circulation du chercheur entre les deux mondes,
Devereux a finalement adopté la vulgate psychanalytique. Mais
à considérer ce travail pionnier, son apport essentiel restera
d'avoir montré qu'un groupe social relativement restreint (un
millier d'individus au moment de l'arrivée des Blancs) était capable
de produire, de faire fonctionner, d'alimenter et de régénérer
un système thérapeutique d'une complexité comparable à celui développé
dans les sociétés occidentales avancées.
Une étude de la même veine a été produite par A. Zempleni en 1968 [5] au sujet des Wolofs et des Lébous du Sénégal. Il expliquait sa démarche de la manière suivante
:
" Le problème qu'en premier lieu nous nous posons est le suivant
: comment la culture wolof-lébou décrit et construit, utilise et explique les unités psychopathologiques
par le moyen de ses propres signifiants ? ... Refus d'une part
du système nosographique de la psychiatrie occidentale. Nous ne
cherchons pas à identifier de manière immédiate les troubles mentaux observés et décrits
par nos informateurs... Bref nous optons pour la conceptualisation
wolof-lébou... Nous ne cherchons pas à expliquer les troubles
observés ou décrits en termes psychiatriques, psycho-sociologiques,
psychanalytiques ou psychologiques courants, mais nous laissons
la parole aux interprétations wolof-lébou. Le système que celles-ci
forment, ses principes organisateurs et sa structure constituent
l'objectif final de notre recherche. "[6]
On voit que cette perspective pouvait s'appliquer tout aussi bien
au travail de Devereux sur les Mohave ; ce que Zempleni reconnaît d'ailleurs explicitement :
" Ce type d'approche n'est pas entièrement nouveau en ethnopsychiatrie.
La voie a été, à notre connaissance, ouverte par G. Devereux dans
son livre Mohave Ethnopsychiatry and Suicide. The psychiatric Knowledge
and the Psychic disturbances of an Indian Tribe [7]... "
Et Zempleni commente de la manière suivante la méthode de Devereux,
qu'il adopte à son tour :
" ... nous retiendrons de cette étude le principe méthodologique
qui lui a servi de point de départ. Il s'agit d'interroger la
culture elle-même sur l'image qu'elle se donne du désordre mental,
sur les catégories pathologiques qu'elle distingue, sur l'étiologie
qu'elle avance, sur les liens qu'elle établit entre les phénomènes
de pathologie mentale et les systèmes magico-religieux, l'organisation
sociale, les types d'activité, les situations qu'elle estime traumatisantes...
Bref, il s'agit de montrer ce qu'est la maladie et sa thérapie
pour la culture en cause. "[8]
András Zempleni faisait partie d'une équipe de psychiatres et
d'ethnologues qui, entre 1963 et 1973, ont entrepris de créer
puis de développer le service de psychiatrie de l'hôpital de Fann
à Dakar[9]. Ayant remarqué qu'une grande partie des soins dont bénéficiait
la population se déroulait auprès des guérisseurs -- les borom kham-khams ("maîtres du savoir"), les jabarkat , les bilejo , les ndöpkat [10] ... -- Zempleni, à l'exemple de Devereux, entreprit de classer
leurs catégories, de restituer la cohérence de leur pensée, fournissant
à l'équipe clinique la possibilité de recourir à leurs services.
Plusieurs tentatives ont été menées dans ce sens sous l'impulsion
d'Henri Collomb [11] : adresser des malades à des thérapeutes traditionnels, inviter
-- quoique exceptionnellement -- des guérisseurs à travailler
avec les médecins, s'inspirer des conceptions traditionnelles
dans la mise en place des dispositifs de soins comme les villages
thérapeutiques ou les groupes de discussion (pintch). L'ensemble des travaux de cette équipe a déclenché un courant
de pensée qui a oscillé dix ans entre deux attirances : celle
de l'antipsychiatrie d'un côté (plutôt représentée par Collomb)
et celle de la psychanalyse lacanienne de l'autre [12]. Ce courant a cessé de produire des hypothèses originales au
moment où les chercheurs ont quitté le service de Dakar. Car ce
qui caractérisait ce mouvement -- que l'on a appelé un temps "l'École
de Dakar" -- c'était
1) qu'il s'agissait d'une équipe et non d'un chercheur isolé,
comme le sont habituellement les ethnologues ;
2) que les connaissances acquises n'étaient pas "gratuites", mais
intéressées, puisque destinées à enrichir des dispositifs cliniques
originaux qui, de plus, étaient adressés à une population spécifique.
Il y avait fort à parier que de telles obligations produiraient
des études originales et créatives.
Problèmes théoriques inhérents au champ de l'ethnopsychiatrie
Aujourd'hui, nous nous trouvons en charge de plusieurs problèmes
conceptuels dont l'ethnopsychiatrie a hérités tels quels :
1) Une contradiction, d'abord : si les systèmes thérapeutiques culturels sont réellement spécifiques
; si de plus cette spécificité est irréductible, comme les monographies
approfondies (Devereux, 1961 ; Zempleni, 1968 ; Severi, 1981 ;
Kakar, 1982 ; Nathan et Hounkpatin, 1996, etc.) le laissent supposer
; à partir de quelle conceptualisation allons-nous en rendre compte
? De l'anthropologie ? De la psychiatrie ? Des systèmes culturels
eux-mêmes ? Est-il encore acceptable de parler d'ethno -- psychiatrie ? Où donc situer la part de la psychiatrie puisque cette discipline
s'appuie sur des prémisses de type médical, totalement étrangères
aux sociétés "traditionnelles" ? En effet, la psychiatrie, à l'exemple
de la médecine, admet que :
a -- Il existe une nature de certains faits objectifs que cette discipline prétend décrire
et analyser. D'une manière ou d'une autre, ces faits doivent être
considérés comme des "maladies" atteignant un organe -- que ce
soit le cerveau et plus généralement le fonctionnement neurologique
ou des organes plus subtils, tels que la psyché , la pensée , l'appareil psychique [13].
b -- La partie élémentaire sur laquelle portent les démonstrations
de cette discipline est le "sujet", c'est-à-dire une '"individualité
psychologique" pensée comme plus ou moins superposable à "l'individualité
biologique" [14].
c -- Il en découle que les éléments de "l'identité culturelle"
-- par exemple sa langue, ses coutumes, ses divintés -- sont postulés
par cette discipline extérieurs à la nature du sujet, un peu comme
le seraient par exemple les vêtements pour le corps. Non pas,
bien sûr, que les cliniciens n'attachent pas d'importance aux
éléments culturels dans leur pratique, mais ces éléments ne font
simplement pas partie de leur conceptualisation.
Il nous faut néanmoins remarquer que la dernière version du DSM,
le DSM-IV, attribue une importance considérable au milieu culturel
: "Le DSM-IV comporte trois types d'informations qui se rapportent
spécifiquement aux considérations culturelles : 1) une discussion
dans le texte sur les variations culturelles pouvant être observées
dans les présentations cliniques des troubles inclus dans le DSM-IV,
2) une description des syndromes spécifiques d'une culture donnée...
et 3) une esquisse de formulation culturelle destinée à aider
le clinicien à évaluer et à rendre compte systématiquement de
l'impact du contexte culturel de l'individu. " [15]
Ainsi, avons-nous vu surgir un paradigme, non encore véritablement
défini -- l'ethnopsychiatrie -- et aussitôt une interrogation sans fin : est-ce de l'ethnologie
? Mais s'il s'agit d'ethnologie, pourquoi donc distinguer un nouveau
paradigme ? Est-ce alors un sous-chapitre de la psychiatrie ?
Impossible ! Car, nous venons de le voir, les prémisses de la
psychiatrie sont en opposition radicale avec ceux des thérapeutes
traditionnels auxquels s'intéresse l'ethnopsychiatrie. Ces impossibilités,
ces incohérences vont très vite venir se matérialiser dans la
vie professionnelle des chercheurs. Ethnopsychiatre , est-ce un métier ? De quel type de métier peut-il donc s'agir
? L'ethnopsychiatre est-il un chercheur ? En médecine ? En anthropologie
? En psychologie ? Si c'est le cas -- comme pourraient le laisser
penser les deux exemples évoqués plus haut, ceux de Devereux et
de Zempleni -- par quels pairs vont-ils être évalués ? Au sein
de quelles équipes pourront-ils accomplir une carrière ? Ou bien
l'ethnopsychiatre est-il un clinicien ? Un psychiatre (comme Henri
Collomb), un psychologue ou un psychanalyste (comme Geza Róheim)
? Mais qu'est-ce qu'un psychiatre dont les intérêts primordiaux
récusent les prémisses de sa propre discipline ? Qu'est-ce qu'un
psychanalyste qui sera nécessairement amené, dans son travail
clinique, à utiliser des théories, des modalités d'intervention
considérées "irrationnelles", "infantiles" et "névrotiques" par
ses pairs [16]? L'on sait que ces questions sont restées sans réponse, et cela
dans tous les pays où se sont développés des recherches en ethnopsychiatrie
(États-Unis, Grande Bretagne, Italie, Suisse, Belgique, France).
De fait, les réalités professionnelles ont souvent conduit les
ethnopsychiatres à cacher leur nature. Ils ont entrepris des carrières
d'anthropologues, de psychiatres ou de psychologues, présentant
leurs recherches en ethnopsychiatrie comme résultant d'un intérêt
personnel [17]. Georges Devereux est peut-être le seul, et seulement dans la
dernière partie de sa carrière, à avoir défendu la spécificité
d'un champ original :
"En tant que science interdisciplinaire, l'ethnopsychiatrie se
doit de considérer conjointement les concepts clefs et les problèmes
de base de l'ethnologie et de la psychiatrie. Elle ne saurait
se contenter d'emprunter les techniques d'exploration et d'explication
de l'une et l'autre de ces sciences... Les sciences véritablement
interdisciplinaires sont les produits d'une fécondation réciproque
des concepts clefs qui sous-tendent chacune des sciences constitutives."[18]
Il n'y a donc d'ethnopsychiatrie que spécifique, nouvelle discipline
s'obligeant à l'interdisciplinarité de peur de se voir condamnée
à la banalité. Une discipline, comme le dit Devereux, contrainte
à reposer les problèmes initiaux, à réévaluer les questions primordiales
de l'anthropologie et de la psychiatrie[19]. Sans cela, l'ethnopsychiatrie n'a aucune raison d'exister --
c'est d'ailleurs ce que lui opposent sans cesse, et avec raison,
anthropologues et cliniciens : "démontrez que vous apportez de
nouvelles propositions aux questions fondamentales de notre discipline
ou disparaissez !"
Définition
J'appelerai donc ethnopsychiatrie :
1) Une discipline qui se donne pour objet l'analyse de tous les
systèmes thérapeutiques, sans exclusive ni hiérarchie, qu'ils
se revendiquent "savants" ou qu'ils se présentent comme spécifiques
à une communauté -- ethnique, religieuse ou sociale. L'ethnopsychiatrie
se propose de les décrire, d'en extraire la rationalité propre
et surtout de mettre en valeur leur caractère nécessaire. Cette
discipline revendique une scientificité spécifique du fait que,
envisageant les systèmes thérapeutiques comme la propriété d'un
groupe, elle cherche à démontrer ses hypothèses en inventant des
méthodes permettant aux représentants de ces groupes de se prononcer
sur leur validité.
2) Une discipline qui se propose d'éprouver les concepts de la
psychiatrie, de la psychanalyse et de la psychologie aux risques
des théories des groupes dont elle étudie les dispositifs thérapeutiques.
Elle ne prend donc pas parti dans la querelle opposant les tenants
d'une validité universelle des concepts psychanalytiques, des
entités nosographiques de la psychiatrie, des concepts issus des
recherches en psychologie cognitive et les tenants d'un relativisme
culturel. Elle se contente d'inventer des méthodes destinées à
mettre ces théories à l'épreuve des réalités culturelles et cliniques
qu'elle observe.
3) Une pratique clinique innovante qui tire les leçons des hypothèses
et des conclusions des points (1) et (2), décidant d'intégrer
dans son dispositif :
a) les solutions techniques qu'elle a su identifier dans son investigation
des systèmes thérapeutiques,
b) les innovations auxquelles elle est parvenue dans sa discussion
des concepts de la psychiatrie, de la psychanalyse et de la psychologie,
c) des évaluations spécifiques se référant tant aux normes habituelles
de la rationalité scientifique qu'à celles des groupes et des
communautés dont sont issues les personnes qu'elle prend en charge.
Cette pratique clinique est destinée à intervenir dans des situations
de désordre que l'on peut considérer psychologiques, sociaux,
culturels ou institutionnels.
2) Et quelques questions théoriques d'envergure
Le problème de la guérison
-- Peut-on considérer la guérison obtenue par les thérapies culturelles
comme étant de même nature que celle obtenue par les thérapies
"savantes" [20]? Cette question est d'importance cruciale car si, d'une part,
les systèmes thérapeutiques étaient radicalement hétérogènes et
que, d'autre part, les guérisons obtenues par ces différents systèmes
étaient toutes de même nature, nous devrions alors abandonner
les théories psychopathologiques -- ou du moins les repasser très
sérieusement en revue. La tâche était trop dure ; les résistances
professionnelles énormes. C'est ce qui explique que la plupart
des auteurs qui ont tenté des synthèses dans le domaine de l'ethnopsychiatrie
ont toujours proposé des explications occidentalo-centrées des
effets thérapeutiques (généralement observés) des systèmes culturels.
Ils attribuent les améliorations que l'on constate chez les patients
au "transfert" (Róheim), à la "suggestion" (Freud et nombre de
psychanalystes à sa suite) ou à "l'effet placebo"[21], à la "croyance" (Levi-Strauss) ou aux "réorganisations sociales"
(Zempleni, comme nombre d'anthropologues). Certains même, comme
Devereux, ne leur attribuent aucune action réelle, un simple effet
palliatif :
"Aussi ne peut-on considérer que le chaman accomplit une " cure
psychiatrique " au sens strict du terme ; il procure seulement au malade ce que l'École Psychanalytique
de Chicago appelle une " expérience affective corrective " qui
l'aide à réorganiser son système de défenses mais ne lui permet
pas d'atteindre à cette réelle prise de conscience de soi-même
(insight ) sans laquelle il n'y a pas de véritable guérison."[22]
Transfert, suggestion, effet placebo, croyance... autant de concepts "occidentaux" qui permettent de rejeter en les interprétant -- de rejeter par l'interprétation -- les explications culturelles.
Évidemment, nous ne sommes plus au temps où l'on considérait les
pensées des "primitifs" prélogiques [23], magiques ou infantiles [24]. L'interprétation -- qu'elle soit sociologique, structuraliste,
psychanalytique... -- reste néanmoins, aujourd'hui encore, l'instrument
principal de disqualification des théories des groupes et des
communautés et, par conséquent, de leurs pratiques thérapeutiques
[25]. Qui refuse par avance aux acteurs la capacité de rendre totalement
compte des systèmes qu'ils manient, est condamné à interpréter -- leurs théories, leurs résultats, le système tout entier. Seule
protection contre ce danger : questionner sans cesse les concepts
fondamentaux des deux disciplines dont relève l'ethnopsychiatrie.
Sans cela, l'ethnopsychiatre sera nécessairement conduit à se
sentir partout chez lui. Il annexera chaque thérapie culturelle
qu'il lui sera donné d'observer, la traduisant en jetons théoriques
déjà connus. Devenu expert , il n'apprendra rien, quant au fond, des sujets qu'il cotoie.
Problème qu'a parfaitement décrit Isabelle Stengers :
"Je l'ai souligné déjà, seul est irrémédiablement destructeur
et/ou tolérant celui qui se croit " purement nomade ", qui n'est
susceptible d'être mis en détresse ou effrayé par rien, et le
groupe qui s'identifie de la sorte ne peut déléguer que des experts...
Le psychanalyste, lorsqu'il se vit comme " praticien moderne ",
se vit également comme " nomade ", détaché des liens illusoires
qui attachent les autres. Dès lors, l'analyste peut se juger partout
" chez lui " car sa pratique définit toute " territorialité ",
toute sédentarité, comme susceptible d'être " analysée ". [26]
Les thérapies culturelles guérissent-elles les patients ? Ou,
pire encore, les guérissent-elles pour de " mauvaises raisons "
? [27] Quoiqu'il en soit, c'est toujours en évoquant sa guérison que
le patient sénégalais continue à s'adresser au marabout, le marocain
au fkih et le limousin au magnétiseur. Puisque c'est par ce questionnement,
au fond bien légitime, que les patients permettent à ces systèmes
de persister -- et même de se développer [28] -- il va de soi que l'un des leviers à l'aide duquel l'ethnopsychiatre
réinterrogera ses disciplines d'origine sera, pour lui aussi,
le problème de la guérison.
La question de la validité des théories culturelles
Peut-on considérer les conceptualisations des systèmes culturels
comme de véritables théories, avec leurs cohortes de constructions
techniques de la réalité, d'expérimentations et de validations
? Auquel cas, il serait nécessaire 1) d'apprendre ces théories
; 2) de les expérimenter concrètement ; 3) de comparer leur efficacité
clinique, ou du moins leurs effets concrets, à l'efficacité des
thérapeutiques "savantes". Il s'agit d'une gageure car ces théories
ne s'enseignent pas mais, la plupart du temps, se transmettent
par initiation . De plus, ces théories sont rarement explicites, jamais exposées
comme des systèmes d'idées ; elles gèrent les actes techniques
des thérapeutes et ne peuvent qu'être reconstruites. Enfin, les
considérer comme de véritables systèmes de pensées impliquerait
que celui qui décide de les apprendre adopte peu ou prou l'identité professionnelle de ceux qui les pratiquent. Or, il
est socialement impossible à un clinicien occidental d'adopter
l'identité d'un chaman colombien, d'un fkih marocain, d'un baba-lawo nigérian -- encore moins d'un magnétiseur limousin. Nous nous
heurtons ici à cette même résistance issue des milieux professionnels.
C'est pourquoi, pour éviter le problème, la plupart des auteurs[29] considèrent les théories culturelles comme des "prénotions",
des "fantasmes", des "croyances" et même parfois comme la survivance
chez les adultes de théories sexuelles infantiles [30]. Comme souvent, G. Devereux a repéré la difficulté et s'est vivement
exprimé à son sujet :
"C'est pourquoi nous ne pouvons jamais savoir avec certitude si
les données des " psychiatres " primitifs représentent des intuitions
scientifiques authentiques ou si elles ne sont que de simples
fantasmes dérivés d'un modèle de pensée culturel."[31]
Notons que, pour lui, au cas où les théories des thérapeutes traditionnels
s'avéraient intéressantes, elles ne pourraient l'être qu'au titre
d'intuitions . C'est ainsi qu'un peu plus loin, dans le même texte, parlant
des Sedang du Vietnam :
"... Ce sont seulement des gens ayant un penchant pour la spéculation,
mais dont les intuitions (insights ) demeurent stériles, car elles ne s'intègrent pas à un contexte
scientifique, et ne sont pas mises en corrélation avec d'autres
intuitions du même ordre, mais seulement avec la mythologie."
[32]
Or, les théories culturelles sont perçues par les usagers des
systèmes thérapeutiques comme aussi vraies que les théories "savantes".
Les patients n'opposent pas les mondes mais tentent de tirer bénéfice
de l'un et de l'autre. Ce sont les savants qui sont en guerre,
entre eux [33], d'abord, mais aussi avec ceux qu'ils désignent comme "charlatans".
Une fois encore, l'ethnopsychiatre devrait prendre modèle sur
les usagers pour construire ses concepts et s'intéresser avec
sérieux aux théories culturelles -- non pas, donc comme des "représentations",
mais comme de véritables théories , dont il devra expliciter la forme spécifique qu'elle prend
; dont il devra aussi expliquer la nécessité. Bref : il lui faudra
expliquer comment le phénomène appréhendé par ces théories l'est
correctement et comment ces théories permettent une prise efficace
sur le monde.
Que faire des groupes ?
L'ethnopsychiatrie a besoin du concept de "culture" ou au moins
d'un concept qui lui permet de reconnaître l'existence de groupes.
Or, les anthropologues et a fortiori les sociologues ont de plus en plus tendance à s'en passer --
souvent à juste raison, d'ailleurs, lui préférant ceux plus vagues
de "mondes" ou "d'univers". De plus, les processus de plus en
plus actifs de mondialisation -- de l'information, des habitudes,
des lois, des marchandises, tendent à faire paraître cette notion
désuète -- peut-être un peu trop rapidement obsolète. Mais concurremment,
une série de données nouvelles viennent rappeler qu'en psychopathologie,
on n'en a pas fini avec les groupes -- qu'on les désigne comme
"ethnies" ou comme "communautés". Il surgit de plus en plus de
"thérapeutes" qui réinventent des dispositifs "culturels" de soins.
CeTahua tahitien décidant soudain, à la suite d'une crise existentielle,
de partir se faire initier chez les Maoris de Nouvelle Zélande et là, de s'y faire tatouer de la tête aux
pieds [34] ; cette guérisseuse d'un village malien qui organise (invente
? réinvente ?) de nouveaux rituels aux djinnas [35] , tout en affirmant qu'il s'agit de la reprise d'une tradition
millénaire ; cette nganga , cette guérisseuse du Nord du Congo, immigrée à Brazzaville,
qui a créé une nouvelle méthode d'extraction du mal [36]? Et que penser de ce guérisseur d'une cité HLM de la banlieue
nord qui "tire le sort" pour des èrémistes en déprime [37]? Toutes ces personnes rassemblent autour d'elles des foules de
malades. Elles se revendiquent, s'imaginent, se représentent comme
des thérapeutes "culturels". Il me semble que, de nos jours, si
les sciences humaines veulent devenir inventives, elles doivent
impérativement concevoir des méthodes leur permettant de postuler
ces "sujets" aussi comme compétents et créatifs -- en aucune manière
fantoches ou automates ! Car ce n'est pas à n'importe quel métier
qu'elles ont entrepris de se faire initier mais à celui de guérir.
Nos observations en ethnopsychiatrie nous font de plus en plus
penser à une hypothèse étrange : Peut-être psychopathologie et culture entretiennent-ils des liens
encore plus profonds que ce que l'on soupçonnait naguère . Car s'il s'avérait que, de nos jours, en période de mondialisation,
c'était principalement par l'entremise d'une maladie -- ou de
l'une de ses formes les plus pernicieuses : l'obligation de soigner
les autres -- que "la culture" investissait tout de go la personne, alors, maladie -- et tout particulièrement désordre
psychique -- et culture formeraient un couple, encore plus nécessaire
qu'autrefois, quoique leur alliance paraîtrait toujours aussi
énigmatique. [38]
C'est encore Devereux qui a posé d'emblée cette nécessité :
"Ces considérations préliminaires nous conduisent à envisager
le problème de la normalité et de l'anormalité dans le cadre du
concept-clé de l'anthropologie, qui est la Culture, et du problème clé de la psychiatrie, qui est celuii de la frontière entre le
normal et l'anormal." [39]
D'abord, il faut dire que toute science humaine est toujours science
de groupes. Même la psychologie clinique, qui travaille à partir
de cas individuels engendre nécessairement la fabrication de groupes
-- artificiels, certes, et dont le seul expert est alors le chercheur.
Quelle réalité sociale possède, en effet, le groupe constitué
par exemple de l'ensemble des personnes classés par les psychologues
et les psychiatres sous la rubrique Psychose hallucinatoire chronique ? Ce sont de simples groupes statistiques, "groupes homogènes
de malades", personnes qui ont pour seul point commun d'avoir
été classés dans une même catégorie par des chercheurs. Comment,
dans ce cas, construire la vérité de manière contradictoire en
prenant les sujets comme partenaires ?
Dans le monde moderne, les groupes sociaux réels se constituent
la plupart du temps dans une lutte et opposent aux experts des
intérêts spécifiques. Exemples récents : Ce sont les malades atteints du SIDA, réunis en associations
de malades, qui ont réussi à imposer leur expertise, bousculant
les perspectives et les priorités des chercheurs [40]. C'est la pression du mouvement gay qui a contraint l'association américaine de psychiatrie à retirer
l'homosexualité de la liste des désordres mentaux. Quelquefois,
des chercheurs isolés aident à la constitution de ces groupes
par une lutte personnelle et brillante. Ainsi, Oliver Sacks a-t-il
réussi à imposer l'idée selon laquelle la recherche moderne en
neurologie consistait à aller interroger l'expérience réelle des
malades, seules personnes susceptibles de décrire l'étrangeté
quasi unique de leur monde[41]. Ainsi, la reconnaissance des groupes est-elle de plus en plus
utilisée par les chercheurs modernes en sciences humaines pour
se donner des partenaires susceptibles de venir interroger la
validité de leurs hypothèses [42].
L'ethnopsychiatrie ne peut se pratiquer que de cette manière car,
à l'ethnopsychiatre correspond toujours son double qui ne cesse
de le questionner sur le bien-fondé de ses perspectives, de ses
méthodes, de ses résultats : le guérisseur ou le thérapeute "naturel"
des populations dont il s'occupe. La chance de l'ethnopsychiatre,
son atout est seulement épistémologique : lui seul parmi les cliniciens
dispose d'un contradicteur obligé. Il faut aussi rappeler que,
dans d'autres univers, les groupes de "malades" sont souvent aussi
de véritables groupes sociaux. Ainsi, par exemple, au Maroc, le
groupe constitué de toutes les personnes ayant été possédées par
un certain djinn est évidemment possible -- ce groupe constitue une réalité d'expérience.
On peut le rencontrer dans certaines zaouias [43] dans lesquelles les adeptes s'adonnent à la 'hadra , la transe rituelle.
Autrement dit : la question de l'ethnopsychiatrie présentifie
nécessairement des groupes sociaux réels qui, de nos jours, n'ont
plus ce caractère distant, littéraire et quelque peu imaginaire
que véhiculait l'ethnologie d'autrefois. Nous rencontrons des
Bambaras , des Dogons , des Mandingues... tous les jours, dans la rue, dans le métro et dans nos cabinets.
Cette cohabitation exige désormais une gestion du rapport avec
les communautés, d'autant que, comme tous les groupes, les "ethnies"
ont tendance à produire des représentants. Nous avons donc un
besoin urgent d'une théorie susceptible de reconnaître et de faire
réellement appel à ces groupes et à leurs représentants. Ainsi,
le segment ethno du mot "ethnopsychiatre" viendrait-il rappeler l'obligation que
se fixe l'ethnopsychiatre de recourir, dans sa méthodologie, à
des groupes réels, déjà constitués et nantis de leurs représentants
pour valider ses propositions et ses hypothèses.
Mais, de nos jours, il existe une complexité supplémentaire. Quelquefois,
ce sont les concepts fabriqués par les praticiens qui se révèlent
être à l'origine de la constitution de groupes sociaux réels.
Premier exemple : la description d'un syndrome neurologique par Gilles de la Tourette
a donné lieu, des décennies plus tard à la création d'une association
extrêmement active (surtout aux États-Unis) : la Tourette Syndrome Association [44]. Là, le groupe est défini par la maladie. Quoique ne s'éloignant
guère des médecins et des neurologues qui l'ont produit, il les
questionne pourtant sans relâche, les incitant à poursuivre les
recherches, à proposer de nouvelles hypothèses étiologiques, à
découvrir de nouvelles thérapeutiques.
Second exemple : On peut raisonnablement penser que c'est la définition par Freud
de l'homosexualité comme "structure psychique" qui a permis à
des personnes qui avaient des pratiques homosexuelles et qui se
pensaient "déviants" de s'imaginer membres d'une catégorie particulière,
puis de se constituer en groupe social : le mouvement gay . Le mouvement gay vient aujourd'hui interroger les experts : les psychiatres, les
psychanalystes, les endocrinologues, les biologistes, se déclarant
leur partenaire obligé. Ainsi, c'est la pression du mouvement
gay qui a contraint l'association américaine de psychiatrie à retirer
l'homosexualité de la liste des maladies mentales.
Troisième exemple : De même, la description par Benjamin, puis par Stoller des "transexuels"
amène-t-elle progressivement des individus à se constituer en
groupe social, puis en groupe de pression, exigeant les interventions
chirurgicales des médecins, les modifications d'état civil des
autorités administratives... Ici, le groupe originairement défini
par un concept bio-psychanalytique -- ils se nomment eux-mêmes
benjaminites (du nom de leur "créateur") -- tend à se constituer en groupe de pression, contraignant les
professionnels à créer des codes de déontologie, une nouvelle
morale, voire une nouvelle philosophie.
Ainsi, doit-on se rendre à l'évidence : les pratiques sociales,
que sont toujours les applications des sciences humaines, sont
à l'origine de la création de nouveaux groupes sociaux qui viennent
ensuite questionner leurs démiurges.
Une obligation d'élaborations théoriques
Comme l'avait prédit Georges Devereux, les recherches de type
ethnopsychiatrique ne peuvent que remettre en cause l'ordonnancement
tant de l'anthropologie que de la psychopathologie. L'ethnopsychiatrie
fait naître de nouveaux problèmes et contraint à réorganiser les
anciens. Mais elle oblige surtout à remettre sur le métier les
notions-clés, à rouvrir les "boîtes noires"[45], celles qui ont assuré longtemps le consensus entre les chercheurs
: ce sur quoi tout anthropologue, tout clinicien, est d'accord
a priori . C'est pourquoi, j'aurai tendance à distinguer ce que je viens
de définir comme ethnopsychiatrie de ce que l'on a coutume de
désigner par les termes de psychiatrie comparée ou psychiatrie transculturelle . L'ethnopsychiatrie n'est pas une psychiatrie culturellement
éclairée, pas plus une anthropologie de la maladie mentale [46]; l'ethnopsychiatrie est cette discipline singulière qui ne doit
son existence qu'à la remise sur le métier des concepts clés de
l'anthropologie et de la psychiatrie.
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[1]. Professeur de Psychologie Clinique et pathologique, Centre Georges Devereux , Université de Paris VIII.
[2]. Devereux G. -- 1961, puis 1969 : Ethnopsychiatrie des Indiens Mohaves. Trad. Fr. : Paris, Synthélabo - Les Empêcheurs de penser en rond, 1996.
[3]. Aujourd'hui encore les Indiens Guarani du Brésil expliquent
leur nomadisme par la recherche d'une terre "pure", sans souillure
; une terre que n'auraient pas souillé les Blancs.
[4]. Cf Sybille de Pury Toumi, Claude Mesmin, Tobie Nathan -- Rapport de recherche: Du rôle des entretiens en langue maternelle dans l'interaction
avec les familles migrantes et notamment de leurs bénéfices dans
l'insertion scolaire et sociale des enfants et des adolescents . Recherche MIRE/DEP, 1995.
[5]. Zempleni A. - L'interprétation et la thérapie traditionnelle du désordre mental
chez les Wolof et les Lebou du Sénégal. Thèse. Paris, Sorbonne,
1968.
[6]. Zempleni, 1968, p. 49.
[7]. Première version éditée en 1961 de l'ouvrage de Devereux sur
les Mohaves, op. cit. Zempleni, 1968, op.cit. , p. 50.
[8]. Zempleni, 1968, op.cit. , p. 50.
[9]. Cette équipe, dirigée par H. Collomb, comportait au début Norbert
Le Guérinel, Paul Martino, Marie-Thérèse Montagnier, Marie-Cécile
et Edmond Ortigues, Mireille Petit, Jacqueline Rabain, Danielle
Storper-Perez, Simone Valantin, Jacques Zwingelstein, pour ne
citer que les plus connus.
[10]. Noms de différentes catégories de guérisseurs au Sénégal. Cf
Zempleni 1966, 1968.
[11]. Collomb H. -- 1965 : Assistance psychiatrique en Afrique (expérience
sénégalaise). Psychopathologie africaine , 1965, I, 1, 11-85 ; -- 1966 : Psychiatrie et cultures (quelques
considérations générales). Psychopathologie africaine , 1966, II, 2, 259-275.
[12]. Ortigues M.C., Ortigues E. -- 1966 : Oedipe africain. Paris, Plon.
[13]. Même le DSM-IV, pourtant fort prudent dans ses définitions,
est contraint d'y faire référence : "Les troubles mentaux ont
également été définis par des concepts variés (p. ex., souffrance,
mauvaise capacité de contrôle de soi, désavantage, handicap, rigidité,
irrationalité, modèle syndromeique, étiologie et déviation statistique)."
Cependant, conscient de la difficulté d'essentialiser des maladies
qui ne sont que des hypothèses, le DSM-IV atténue aussitôt la
première définition : "Chacun est un indicateur utile du trouble
mental mais aucun n'est équivalent au concept et différentes situations
demandent différentes définitions." American Psychiatric Association, DSM-IV. Manuel diagnostique des troubles mentaux, trad. fr. : Paris Milan Barcelone, Masson, 1996, p. XXVIII. Voir
aussi ma discussion de ce problème dans P. Pichot et T. Nathan
-- 1997 : Quel avenir pour la psychiatrie et pour la psychothérapie ? Paris, les empêcheurs de penser en rond. [sous presse]
[14]. Même si certaines théories psychopathologiques, notamment dans
le courant des thérapies familiales admettent l'efficacité d'actions
thérapeutiques sur le groupe familial, le désordre est tout de
même pensé comme affligeant une personne.
[15]. American Psychiatric Association, DSM-IV. op.cit., p. XXXI. La position du DSM est aussi de refuser de considérer
le trouble mental comme une maladie comme une autre : "... bien
que le manuel fournisse une classification des troubles mentaux,
il faut reconnaître qu'aucune définition ne spécifie de façon
adéquate les limites précises du concept de " trouble mental".
DSM-IV , op. cit., p. XXVIII.
[16]. Là encore, concernant les pratiques ethnopsychiatriques, le
DSM-IV innove : parlant des explications culturelles de la maladie, il
évoque la tendance de certains malades à avoir une préférence
pour les thérapies culturelles : "préférence pour une prise en
charge par des méthodes conformes ou non aux usages de la profession médicale". American Psychiatric Association, DSM-IV, op. cit. , p. 964, souligné par moi. Devereux s'est longuement expliqué
sur ce qui, dans la relation thérapeutique avec un "indien des
plaines" était nécessairement interprété comme activité de type
"chamanique". Devereux G. -- 1959 : Réalité et rêve. Psychothérapie d'un indien des plaines. Trad. Paris, J.C. Godefroy, 1982.
[17]. Il va de soi que les recherches en ethnopsychiatrie apportent
des dimensions essentielles, tant à l'anthropologie qu'à la psychiatrie
qui, d'ailleurs ne demanderaient pas mieux que de l'annexer. C'est
le statut de la discipline elle-même qui pose problème et non
l'intérêt des recherches -- la réélaboration dans le sens culturaliste
du DSM-IV est là pour rappeler l'intérêt fondamental des psychiatres
pour l'ethnopsychiatrie.
[18]. G. Devereux, Essais d'ethnopsychiatrie générale, op.cit., p. 1-2.
[19]. "Je voudrais conclure en rappelant que ce que l'on pourrait
appeler " la psychiatrie exotique " ne date pas d'hier. Le voyage
psychiatrique de Kraepelin autour du monde eut lieu il y a plus
de 60 ans. Cette pratique " exotique " continue d'être pratiquée,
d'innombrables publications lui sont consacrées chaque année.
Mais l'exotisme n'est pas une ethnopsychiatrie au sens propre
du mot, tout comme un guide de musée n'est pas un traité d'archéologie
ou d'histoire de l'art. Il ne peut y avoir d'ethnopsychiatrie
authentique sans une épistémologie, une méthodologie, une technique,
une théorie qui lui appartiennent en propre." G. Devereux, "Préface
au numéro " Ethnopsychiatrie " de la revue perspectives psychiatriques , 1975, IV, N°53, p. 253.
[20]. J'appelle "savantes", les psychothérapies qui prétendent découler
d'observations scientifiques de la "nature". Il va de soi que
je ne prononce en aucune manière sur leur validité scientifique.
[21]. Voir la passionnante discussion du concept de placebo dans Ph. Pignarre -- 1997 : Qu'est-ce qu'un médicament ? Paris, La Découverte, 1997.
[22]. G. Devereux, Essais d'ethnopsychiatrie générale , Paris, Gallimard, 1970, p. 18.
[23]. Levy-Bruhl L. - La mentalité primitive. Paris, P.U.F., réédition.
On retrouve néanmoins dans des textes récents de psychanalystes
des développements très semblables à ceux du début du siècle :
"L'homme primitif se façonna des armes et des outils qu'il sacralisa,
les investissant d'un pouvoir magique qui dépassait le sien propre.
Il fabriqua de même des idoles et des fétiches, projections signifiantes
de son narcissisme. Les idoles représentaient (et représentent
encore de nos jours dans la mesure où leur culte survit, plus
ou moins masqué) les vertus et les pouvoirs que l'homme voudrait
posséder d'une façon absolue... à ce titre les idoles pourront
être le support de sa haine projetée et être des objets de crainte."
etc. B. Grunberger, P. Dessuant : Narcissisme, christianisme, antisémitisme ; Actes Sud, 1997. Aucun intérêt par conséquent pour les techniques
des fabricants et des manipulateurs de fétiches, pas plus pour
leur philosophie ou leur construction du monde, une nouvelle fois
réduits au statut d'infantiles masturbateurs.
[24]. Freud, Totem et tabou, op. cit. ; Voir aussi la critique de la représentation que l'Occident
se fait des "primitifs" dans M. Gauchet -- 1985 : Le désenchantement du monde . Paris, Gallimard.
[25]. Voir certains travaux actuels d'une ethnopsychiatrie que l'on
pourrait dire "à l'ancienne", une ethnopsychiatrie qui récuse
la spécificité de sa propre démarche; qui donc interprète les actes et surtout les pensées qu'elle impute à ceux qu'elle
observe. Dans ce type de démarche, les autres agissant, donc, mais de manière intuitive ; les théories qu'ils
construisent pour rendre compte de leurs actions ne pourront être
considérées que comme faits à observer . Exemples : Ortigues M.C., Ortigues E. - Oedipe africain. Paris,
Plon, 1966 ou Pradelle de la Tour C.H. -- 1995 -- Ethnopsychanalyse bamileke . Paris, ££££, pour les interprétations lacaniennes ; Juillerat
B. -- 1991 : OEdipe chasseur. Une mythologie du sujet en Nouvelle Guinée. Paris, P.U.F., pour les interprétations psychanalytiques plus
"classiques".
[26]. I. Stengers -- 1997 : Cosmopolitiques, tome 7, Pour en finir avec la tolérance. Paris, La découverte-Synthélabo, les Empêcheurs de penser en rond.
[27]. Selon l'expression d'Isabelle Stengers dans "Le médecin et le
charlatan" in T. Nathan et I. Stengers -- 1995 : Médecins et Sorciers, Les empêcheurs
de penser en rond, Paris, Synthélabo, 1995.
[28]. Voir le développement exponentiel des groupes de prières qui
sont de véritables lieux thérapeutiques traditionnels adaptés
au monde moderne dans les grandes métropoles, partout à travers
le monde. Cf Piault C. ed. - Prophétisme et thérapeutique. Albert
Atcho et la communauté de Bregbo. Paris, Hermann, 1975 ; Dozon
P. -- 1995 : La cause des prophètes. (politique et religion en Afrique contemporaine) Paris, Le Seuil ; Nathan T., Hounkpatin L. -- 1996 : La parole
de la forêt initiale. Paris, Odile Jacob.
[29]. À la différence, tout de même notable de Marcel Mauss.
[30]. Cf G. Róheim -- 1943 : Origine et fonction de la culture. Paris,
Gallimard, 1967.
[31]. G. Devereux, Ethnopsychanalyse complémentariste . Paris, Flammarion, 1972, p. 252.
[32]. G. Devereux, Ethnopsychanalyse complémentariste, op. cit., p. 256.
[33]. Cf I. Stengers, Cosmopolitiques I, La guerre des sciences . Paris, Paris, La découverte-Synthélabo, les Empêcheurs de penser
en rond, 1996.
[34]. B. Saura (1993).
[35]. L. Berger... £££
[36]. Travail de terrain effectué par Geneviève Nkoussou et Jérôme
Weisselberg ; non publié.
[37]. Observation personnelle.
[38]. Voir la description des Dangaleat par Pouillon qui montre que là, toute vocation est avant tout
une affliction. En d'autres mots : c'est la maladie qui qui promeut
le sujet au rôle social qu'il va tenir et le valide pour cette
fonction. Pouillon J. -- 1970 : "Malade et médecin : le même et/ou
l'autre. Remarques ethnologiques." - Nouvelle Revue de Psychanalyse, 1, 76-98.
[39]. G. Devereux, Essais d'ethnopsychiatrie générale , op.cit. , p. 4 (souligné par moi).
[40]. Il n'est pas étonnant que ce soit dans l'héritage de Michel
Foucault qu'on retrouve les tentatives les plus originales d'utilisation
des associations de malades dans la recherche, par exemple dans
les travaux de Daniel Defert. La publication récente des cours
de Foucault au collège de France nous fournit d'ailleurs des pistes
théoriques pour réutiliser les " savoirs assujettis ". "Par " savoirs
assujettis ", j'entends également toute une série de savoirs qui
se trouvaient disqualifiés comme savoirs non-conceptuels, comme
savoirs insuffisamment élaborés : savoirs naïfs, savoirs hiérarchiquement
inférieurs, savoirs en dessous du niveau de la connaissance ou
de la scientificité requises... c'est par la réapparition de ces
savoirs locaux des gens, de ces savoirs disqualifiés que s'est
faite la critique" Michel Foucault : " Il faut défendre la société. "
Cours au Collège de France. 1976. Paris, Gallimard, Seuil, 1997,
p. 9.
[41]. Oliver Sacks, Un anthropologue sur Mars. Sept histoires paradoxales Paris, Le Seuil, 1996.
[42]. Il me semble même que c'est la seule méthodologie, du moins
pour la psychopathologie et la psychothérapie, permettant d'échapper
au reproche de Popper accusant les psychanalystes de produire
des énoncés "non-réfutables".
[43]. Confrérie à fonction aussi thérapeutique, regroupée autour du
tombeau d'un saint. Cf, par exemple, A. Chlyeh : -- 1995 La thérapie syncrétique des Gnaoua marocains. Thèse de doctorat d'ethnologie, Université de Paris VII.
[44]. Le texte initial : G. de la Tourette -- 1885 : "Etude sur une
affection nerveuse caractérisée par l'incoordination motrice accompagnée
d'écholalie et de coprolalie (jumping, latah, myriatchit)" ; Archives de neurologie , 9, 19-42 et 158-200.
[45]. Selon l'idée de Stengers : La volonté de faire science . Paris, Synthélabo, les Empêcheurs de penser en rond, 1992.
[46]. À nouveau Devereux : "Contrairement à ce que certains supposent,
l'ethnopsychiatrie n'est pas simplement l'étude des désordres psychiques dans divers milieux culturels,
ou des idées " traditionnelles " (comme s'il y avait des sociétés
non traditionnelles!)... L'ethnopsychiatrie est, en premier lieu,
une épistémologie et une méthodologie..." "Préface au numéro " Ethnopsychiatrie "
de la revue perspectives psychiatriques , op. cit., p. 251. |