La naissance du cinéma est trop souvent pensée dans sa relation à la captation du mouvement, ce qui a pour incidence, lorsqu’on tente de la réintroduire dans l’histoire des arts, de la ramener à une problématique essentiellement technique. Combien d’ouvrages ou d’expositions dévolus au cinéma se focalisent en effet sur les progrès chimiques et mécaniques ayant permis l’apparition de l’image animée ? Pourtant le cinéma ne se confond pas avec l’image en mouvement. Du moins, pas exclusivement. Il doit aussi beaucoup à son état contraire : l’immobilité. Le cinéma se fonde sur une oscillation constante entre immobilité et mouvement. D’abord parce que le mouvement au cinéma n’est jamais, techniquement parlant, que le produit d’un défilé d’images fixes – et ce, jusqu’à l’avènement de l’ère numérique. Ensuite parce que l’image animée est appelée à une nouvelle immobilisation lorsque le mot fin vient s’inscrire sur l’écran. Si cette tension entre mouvement et immobilité est à ce point fondamentale pour l’art cinématographique, c’est parce que l’histoire des arts, dans laquelle le cinéma vient s’insérer, est traversée par un double rêve : celui d’éterniser les êtres par leur transformation en images immobiles et celui concomitant de leur redonner vie par le mouvement, le tableau vivant servant en quelque sorte d’emblème à ce tremblement constitutif. En proposant une archéologie du cinéma à l’époque moderne, ce cours entend montrer que ce double désir d’immobilisation et d’animation, porté par des problématiques poétiques, politiques, philosophiques, anthropologiques, a hanté l’imaginaire des peintres, des sculpteurs, des dramaturges et des photographes, avant d’être recueilli puis porté à son incandescence par les cinéastes.