« C’est au peintre français Jean Dubuffet que l’on doit le concept d’Art Brut. Il constitue dès 1945 une collection d’objets créés par des pensionnaires d’hôpitaux psychiatriques, des détenus, des originaux, des solitaires ou des réprouvés. Il perçoit dans cette création marginale une « opération artistique toute pure, brute, réinventée dans l’entier de toutes ses phases par son auteur, à partir seulement de ses propres impulsions ». La notion d’Art Brut repose ainsi sur des caractéristiques sociales et des particularités esthétiques. 


Les œuvres d’Art Brut sont réalisées par des créateurs autodidactes, des marginaux retranchés dans une position d’esprit rebelle ou imperméables aux normes et valeurs collectives, qui créent sans se préoccuper ni de la critique du public ni du regard d’autrui. Sans besoin de reconnaissance ni d’approbation, ils conçoivent un univers à leur propre usage. Leurs travaux, réalisés à l’aide de moyens et de matériaux généralement inédits, sont indemnes d’influences issues de la tradition artistique et mettent en application des modes de figuration singuliers. » (Source : Collection de l’Art Brut de Lausanne)


« L’un des grands malaises de notre civilisation, explique Claude Lévi-Strauss, est d’avoir totalement séparé l’ordre du rationnel et l’ordre du poétique, tandis que dans toutes les civilisations dites primitives […], ce sont deux ordres étroitement unis. »


Beaucoup de créateurs d’Art Brut ont conservé cette alliance originelle pour faire cohabiter ces deux ordres naturellement. Au sein de leur vie quotidienne, la poésie, au sens le plus ample du terme, se décline sous de multiples formes. Certains cultivent des liens sensibles avec la nature et le cosmos, se mettant à son écoute voire en adéquation avec elle, à la manière d’un archer zen. D’autres affirment qu’ils sont accompagnés par des puissances célestes ou astrales, guidés par un dieu, par des esprits, par leurs ancêtres ou par des voix.  

Les auteurs d’Art Brut montrent une disponibilité particulière, une sorte d’état exploratoire où la raison se relâche, grâce à laquelle ils se dégagent de la réalité. Leur perception et leur imaginaire sont exacerbés. Dès lors, leurs capacités sensorielles se déploient et leur concentration mentale s’intensifie – parfois à la manière de procédés chamaniques. Beaucoup atteignent ce que l’on pourrait appeler une forme de transcendance, qui dépasse un ordre de réalité déterminé. 


Ce séminaire inédit « Art Brut et Sacré » entame l’exploration des dimensions religieuses et sacrées de l’Art Brut à travers la collaboration d’une historienne de l’art spécialisée dans l’art et d’un socio-anthropologue du religieux. Le séminaire abordera la thématique sous plusieurs angles : la forte occurrence de symboliques religieuses dans les œuvres, l’expérience des artistes eux et elles-mêmes, le positionnement social de ces acteurs et son rapport à la marge et au sacré, ainsi que l’engouement actuel pour cette forme d’art perçue comme source d’authenticité et d’enchantement, etc. Le séminaire oscillera donc entre un contenu propre à l’esthétique et à l’histoire de l’art et une approche religiologique de la culture et des productions culturelles.


Le séminaire bloc « Art Brut et Sacré », réparti sur quatre journées, sera constitué de cours en présence, de visites de musées et d’ateliers de création, ainsi que de débats avec les étudiant.e.s.




Définition de l’Art Brut par Jean Dubuffet


« Nous entendons par là [Art Brut] des ouvrages exécutés par des personnes indemnes de culture artistiques, dans lesquels donc le mimétisme, contrairement à ce qui se passe chez les intellectuels, ait peu ou pas de part, de sorte que leurs auteurs y tirent tout (sujets, choix des matériaux mis en œuvre, moyens de transposition, rythmes, façons d’écritures, etc.) de leur propre fond et non pas des poncifs de l’art classique ou de l’art à la mode. Nous y assistons à l’opération artistique toute pure, brute, réinventée dans l’entier de toutes ses phases par son auteur, à partir seulement de ses propres impulsions. De l’art donc où se manifeste la seule fonction de l’invention, et non celles, constantes dans l’art culturel, du caméléon et du singe».


Jean Dubuffet, tiré de L’Art Brut préféré aux arts culturels, Paris, Galerie René Drouin, 1949.