Deux centres majeurs de la modernité européenne et de ses bouleversements sociaux, culturels, et politiques, Vienne et Prague ont aussi été les lieux privilégiés de la crise philosophique qui a peut-être marqué le plus profondément le 20ème siècle: celle du langage et de ses pouvoirs de signification, d'expression et de communication. Avec les écrivains Hoffmansthal, Kafka, Rilke, Musil notamment, et surtout le philosophe Fritz Mauthner, est diagnostiquée en effet l'incapacité fondamentale du langage à dire le monde, à transmettre de façon transparente ou adéquate les vérités tant objectives ou publiques que secrètes et intérieures. Face à cette perte de sens radicale, se mettent alors en place plusieurs programmes qui, se focalisant sur le langage lui-même (un geste qui sera plus tard charactérisé de "tournant linguistique"), cherchent à décrire et refonder philosophiquement ses propriétés sémiotiques, descriptives, déictiques, cognitives. À la suite de Brentano, tout d'abord, Anton Marty puis Edmund Husserl proposent un programme "logique" qui explore la structure signifiante interne du langage. Dans une optique elle aussi logiciste, mais plus formelle, Otto Neurath, Rudolf Carnap, puis Ludwig Wittenstein travaillent à respécifier, unilatéralement et positivement, les rapports entre langage et réalité. Prenant une perspective radicalement fonctionnelle cette fois, Roman Jakobson et le Cercle linguistique de Prague se concentrent eux sur la langue comme matrice de formes distinctives et expressives. Enfin, Sigmund Freud (suivi indirectement et plus tard par le second Wittgenstein) révèle la part créatrice, individuelle et thérapeutique du langage à la fois comme jeu et comme lieu même de la fondation du sens.

Le cours explorera tour à tour ses conceptions critique, brentanienne/phénoménologique, analytique/positiviste, structurale et psychanalytique du langage, les replaçant dans le contexte intellectuel des modernités viennoise et praguoise, et les mettant en dialogue l'une avec l'autre.